Oran & Intolérance en Algérie

Histoire ET intolérance de l’Algérie

Illustrées par CELLES de la ville d’Oran

Didier E. BERTIN – 16 juin 2005

 

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I- NAISSANCE DE OUAHRAN

Après le règne de Carthage, l’actuelle région de l’Oranie, fut surtout marquée, du IIe siècle avant JC au Ve siècle, par la présence Romaine suivie d’un passage relativement bref des Vandales et des Byzantins. C’est seulement en 937 qu’apparut la trace d’un début d’agglomération à l’initiative de navigateurs andalous qui vivaient du commerce avec l’ouest algérien. L’endroit fut désigné par un nom arabe : Ouahran.

Ouahran signifie « Deux Lions » en arabe, selon la forme duelle de Wahr (Lion). Il est à noter qu’une des hauteurs à proximité d’Oran était appelée « Montagne des Lions », ce qu’il laisse supposer leur présence dans un lointain passé. Deux Lions apparurent sur le blason français de la ville et sous forme de statues d’Auguste Caïn, au pied du grand escalier de la Mairie d’Oran.

Oran est donc une localité récente par rapport aux autres grandes villes d’Afrique du nord.

Ouahran fut ensuite dominée par des dynasties musulmanes successives : Fatimides, Almoravides -Al Murabiyun ceux des Ribats : forteresses-, Almohades - Al Muwahhiddun, les Unitaires- et Ziyanides, gouverneurs de Tlemcen.

Avec les Ziyanides, le commerce maritime avec de grandes villes de la Méditerranée se développa,  mais la véritable naissance d’Oran data de l’intervention espagnole en 1509, due notamment  aux Pirates de Ouahran et de sa région, qui pillaient  les navires et villes de la côte espagnole.

II- Oran : PRESIDIOS ESPAGNOL durant TROIS SIECLES

 En 1509, L’armée du Cardinal Ximenez, commandée par Pedro Navarro s’empara d'Ouahran pour en faire un Presidios Espagnol dans le cadre duquel duquel Oran amorça un de trois un véritable développement. Mais les pirates continuèrent leur action et les espagnols durent continuer à mener des opérations contre Alger.

La Turquie était en lutte avec les puissances chrétiennes notamment pour contrôler les ports de la Méditerranée et le pirate Barberousse (chrétien converti à l’Islam) obtint le concours du Sultan turc, Soliman le Magnifique pour s’emparer en 1520, au nom de la Turquie, d’Alger et des principales villes d’Algérie, sauf Oran. Cette initiative était aussi une réaction à la Reconquista terminée en 1492 par la chute de Grenade. Alger fut  dirigé par un Dey dominant trois Beys (répartis de Constantine à Médéa).

De 1509 à 1792 -avec une courte parenthèse turque de 1708 à 1732-, soit pendant près de 3 siècles, Oran fut un Presidios Espagnol similaire à Melilla et Ceuta (au Maroc) qui en 2005 sont toujours des villes espagnoles. En 1708, la ville fut prise par les Turcs mais les Espagnols commandés par le Comte de Montemar en reprirent possession dès 1732.

Les espagnols ont fait peu de tentatives pour s’étendre au-delà d’Oran et ont préféré y développer une place forte notamment chargée de recevoir les prisonniers et exilés d’Espagne comme les autres places fortes espagnoles en Afrique du nord. Le marquis de Santa Cruz, Alvarez de Bzan y Silva fit construire en 1690, un fort sur les hauteurs de la ville qui en devint le symbole sous le nom de fort de Santa Cruz.

En 1790, la ville comptait environ 600 maisons et 5000 habitants dont 2800 déportés d’Espagne. Au cours de cette même année, la ville fut secouée par un violent tremblement de terre qui fit 3000 victimes. Cette catastrophe découragea le Roi d’Espagne, Charles IV qui choisit d’abandonner la ville aux Turcs, le 6 mars 1792.

Les beys de l’Ouest Algériens transférèrent leur capitale de Mascara à Oran.

Les Presidios espagnols d’Afrique sont des petites enclaves, refermées sur elles-mêmes, sans ambition d’expansion territoriale, économique ou culturelle et de plus fermée à la population de l’extérieur - leur population est principalement espagnole ou en provenance d’Espagne-.

Les Presidios ne correspondent pas au modèle traditionnel du colonialisme et ont pu échapper au processus de décolonisation.

L’histoire d’Oran jusqu’en 1790, est assez similaire à celle de Melilla. Melilla fut dominée par les Carthaginois, puis par les Romains, et devint une ville arabe au VIIIe siècle qui se transforma en bastion de la piraterie. Conquise par les Espagnols en 1487 par Don Pedro de Estopinan, pour le compte des Ducs de Medina Sidonia, elle passa sous la couronne espagnole en 1556.

III –VILLE FRANCAISE D’OUTRE MEDITERRANEE

 PLUS D’UN   SIECLE D’INTEGRATION ET de crypto DESINTEGRATION

1-Processus d’intégration et dynamique du principe de nationalité

La conquête de l’Algérie en 1830 fut le résultat dans la forme une expédition punitive résultant d’un conflit diplomatique et commercial avec le Dey d’Alger et fut surtout un moyen pour Charles X de détourner l’attention de la population française de problèmes intérieurs, en lui offrant une victoire militaire.

 En 1827, le Dey d’Alger avait réclamé le paiement d’une livraison de blé faite à l’armée française en 1795 par deux commerçants Juifs d’Alger- MM. Bacri  (qui devint le représentant de la Communauté Juive d’Alger auprès des français après 1830) et Busnach qui avait été assassiné par un janissaire 22 ans  plus tôt. La France ne voulait pas payer sa dette, ce qui valut un coup d’éventail du Dey, à l’ambassadeur de France. De plus, Alger mettait le trafic maritime en total insécurité en raison de son activité économique traditionnelle réalisée par les Pirates appelés aussi « Corsaires Barbaresques ». Le Danemark, l’Angleterre, les Pays Bas et les Etats-Unis choisirent de bombarder Alger en représailles, tandis que d’autres préféraient payer une rançon. (Portugal, Naples..).

 La conquête de l’Algérie par la France fut facilitée par le mécontentement de la population locale à l’égard des autorités turques et eut pour résultat l’effondrement de l’autorité turque.

Rapidement, il apparut attrayant de coloniser l’Algérie dont la population locale qui s’élevait à environ 2 500 000 habitants dans les années 1830, paraissait négligeable, en particulier au regard de sa superficie avec le Sahara de près de 2 280 000 km2 soit quatre fois la taille de la France, avec au nord de 1000 km de côte méditerranéenne et au sud les portes de l’Afrique noire.

 En 1840 la France décida de s’emparer de la totalité du territoire algérien. A partir de 1844, la population musulmane fut dirigée par des Bureaux militaires arabes. Ces bureaux se voulaient proches des populations locales et  les militaires qui y travaillaient apprirent à parler et à lire les différents dialectes algériens et même le Touareg. Certains rapports de ces bureaux sont des études anthropologiques, historiques, linguistiques et littéraires. Un officier devint spécialiste de la riche littérature Targui (le commandant Bissuel). Le rôle des militaires en Algérie jusqu’en 1870 fut donc original et ouvert ; ils furent des dirigeants paternalistes mais libéraux et éclairés à l’égard des populations locales.

 Les Bureaux des affaires militaires furent supprimés à la chute du second Empire en 1870, et les populations musulmanes passèrent sous le contrôle étroit et plus du tout libéral des autorités civiles. En passant l’autorité militaire à l’autorité civile locale dominée par les colons,  les musulmans furent enfermés dans l’étroit statut de l’indigénat. Cette nouvelle situation  entraîna des insurrections en Kabylie en 1871, suivies de déportations en Nouvelle Calédonie. Ces insurrections semblaient donc être liées au nouveau statut contraignant des musulmans plus qu’à l’accession des Juifs à la nationalité française (comme certains l’avaient prétendu).  Toutefois l’accession des Juifs à la nationalité française déplut fortement aux musulmans traditionalistes et aux européens locaux.

A partir de 1881, le code de l’indigénat établit 27 contraintes dont la restriction de déplacements et de réunions, les corvées, et un impôt spécial appelé « l’impôt arabe » (supprimé en 1919).

La population européenne s’accrût fortement par l’immigration principalement de France, d’Espagne, mais aussi d’autres pays européens. La politique d’intégration de l’Algérie à la France par une politique de peuplement intense a été rendue possible par un concept de naturalisation ouvert, ainsi qu’à une large distribution gratuite de terres aux européens.

Le terme « Européen » revient souvent dans les descriptions de la population d’Algérie d’avant 1962. En fait ces européens étaient français par origine et naturalisation ; cette notion d’européen est résiliente probablement en raison des origines diverses et récentes des français d’Algérie.

L’intégration de l’Algérie à la France connut une parenthèse au second Empire, car Napoléon III pensait que l’Algérie devait être un Royaume arabe sous protectorat français et non un territoire français -Moniteur du 06.02.1863, mais il voulait aussi offrir la possibilité de devenir français à ceux qui le voudraient. En 1865 il promulgua donc un Senatus Consulte sur la naturalisation ouverte à la fois aux Juifs et aux Musulmans. Devenir français signifiait aussi accepter la prédominance de la loi française sur les lois Rabbiniques et Coraniques et peu de Juifs et de Musulmans (seulement 370 en tout) saisirent cette opportunité lorsque cela fut possible de 1865 à 1870.

L’intégration de l’Algérie à la France fut aussi réalisée par l’imposition de la langue française comme langue officielle et du système de scolarisation français.

En 1848, l’Algérie fut divisée en trois départements : Oranie, Algérois, Constantinois chacune représentée par un député, mais l’intégration administrative effective eut lieu en 1881, et le Sahara étant exclus de cette organisation en raison d’une population européenne civile pratiquement négligeable.

En 1896, une Constitution établit des sortes de délégations locales comprenant 48 européens et 21 musulmans.

En 1947, le statut de l’Algérie fut ainsi re-défini : « Groupe de Départements doté d’une personnalité civile, de l’autonomie financière et d’une organisation particulière ». L’exécutif est dévolu au Gouverneur Général désigné par la République et le législatif par une Assemblée de 120 représentants : 60 pour le collège européen, et 60 pour le Collège indigène.

Cette égalité du nombre de représentants dans chacun des collèges n’avait pas de sens puisqu’à cette époque les français étaient environ un million et les musulmans 7 millions. Le seul sens que ce système pouvait avoir, était de considérer qu’un français valait sept musulmans, ce qui ne paraissait pas tenable pour une République égalitaire.

 Ce nouveau statut constitua toutefois une évolution importante pour les musulmans, car il mit fin de facto au statut de l’indigénat qui fut aboli en 1944.

La faille dans le processus d’intégration de l’Algérie à la France a été de négliger « la croissance démographique « hyper –galopante » de la population musulmane.

De 1840 à 1961, la population musulmane s’est accrue de 260% et d’environ 700% de 1901 à 2005.

De 1961 à 2005 la population algérienne s’est accrue de près de 3% par an, ce qui semble être la plus forte croissance démographique du monde. La population algérienne est passée de 9 000 000 d’habitants en 1961 à 32 531 000 d’habitants aujourd’hui. Cette croissance galopante est certainement un des problèmes les plus lourds à gérer pour le gouvernement Algérien.

Si l’Algérie avait été intégrée à la France, il eut fallu que tout le monde obtînt la nationalité française et aujourd’hui, la France compterait plus de 40% de musulmans ce qui aurait remis en cause son identité. Le dernier Referendum sur la Constitution européenne a montré « notamment » que les français restaient attachés à leur identité nationale.

Population française

Autres populations européennes

Population européenne

Population musulmane

1840

     25 000

2 500 000

1851

  65 000

  65 000

   130 000

1865

 95 000

  95 000

   190 000

 2 600 000

1886

219 000

211 000

   430 000

1890-1901

364 000

189 000

   553 000

 3 600 000

1921

  5 000 000

1947 Est.

1 000 000

 7 000 000

1961

1 500 000

  9 000 000

2005

32 531 000

En 1954, eût lieu le premier attentat du FLN (Front de Libération Nationale d’Algérie) et en 1958, Pierre Pflimlin, député MRP (chrétien-démocrate) de Strasbourg, fut pressenti pour remplacer Félix Gaillard à la présidence du Conseil, mais il était soupçonné de vouloir négocier avec le FLN.

La France venait d’entreprendre une politique active de décolonisation. Les Territoires d'Outre-Mer situés en Inde furent rattachés à l’Inde de 1952 à 1954. Les États associés d’Indochine ont accédèrent à l’indépendance en 1954. La Tunisie et le Maroc, protectorats, devinrent indépendants en 1956.

Afin de maintenir le statut de l’Algérie, les Gaullistes poussèrent en 1958, les Français d’Algérie et l’Armée Française, qui se trouvaient en Algérie, à la sédition en leur présentant le Général de Gaulle comme la seule personnalité capable de leur donner satisfaction.  L’armée et ses principaux Généraux attachés au maintien des colonies, pour des raisons nationalistes et stratégiques, pactisèrent avec les gaullistes.  Le 13 mai 1958, le Général Massu menaça la République et exigea la création à d'un Gouvernement de Salut Public, capable de conserver l'Algérie comme partie intégrante de la métropole. Le 15 mai le Général Salan qui commandait l’armée française en Algérie soutint cette demande.  Le 29 mai, le président de la République, René Coty demanda au Parlement d’investir le général de Gaulle à la tête du gouvernement. La République frileuse se plia encore une fois devant un homme providentiel en soumettant aux injonctions de l’Armée, qui réalisa ainsi un Coup d’Etat, sans tirer un coup de feu. La quatrième République tomba pour laisser place à l’autoritaire cinquième République du Général De Gaulle. Très rapidement, le Général De Gaulle déçut ses partisans d’Algérie en préparant son indépendance pour 1962. Les mêmes militaires (sauf le Général Massu) voulurent réitérer leur coup d’Etat, mais ils se heurtèrent,  cette fois  au général De Gaulle qui résista mieux que René Coty.  La fin de la guerre fut particulièrement violente pour la population civile. Le 3 Juillet 1962, l’Algérie fut déclarée indépendante et se vida de ses 1 500 000 européens partis essentiellement pour la France.

 

2- SITUATION PARTICULIERE D’ORAN

Après avoir pris Mers El Kébir en 1830, l’armée française s’empara d’Oran en 1831. A l’arrivée des Français, on pouvait dire qu’Oran était une ville Juive, puisque la communauté Juive constituait près de 75% de ses 3 800 habitants dont 750 chrétiens et seulement 250 musulmans.

A partir de 1841, le général Louis Juchault de Lamoricière qui organisa le premier bataillon de Zouaves et le premier bureau arabe, fit construire à l’écart d’Oran une zone pour regrouper la population indigène d’Oran. Le nom de cette Zone fut d’abord le Village Djallis qui signifiait village des Etrangers et fut appelé par la suite le « Village Nègre », nom reflétant  l’ostracisme, et le mépris dans lesquels les indigènes furent tenus. Officiellement, le nom fut changé en « Ville Nouvelle », mais pour les français d’Oran, il resta le « Village nègre », jusqu’à leur départ.

En 1848, Oran devint officiellement une commune. A cette époque Oran se limitait, à l’exception du quartier Juif, aux quartiers bas près du port et s’est étendu sur les hauteurs à partir de 1890. La population s’accrut progressivement principalement par l’arrivée d’immigrants espagnols et français, pour atteindre en 1960, une population de 220 000 français et de 180 000 musulmans, soit 400 000 habitants. Oran avait donc une population majoritairement européenne qui concentrait l’essentiel de l’activité économique et la ville eut longtemps après l’indépendance l’allure d’une coquille vide. Par sa population et son activité, Oran avait à la fois certaines allures de Presidios et de ville récente, qui la différenciaient des autres villes d’Algérie.

Oran qui avait été une ville juive en 1830, devint rapidement devenir une ville anti-Juive.

A partir de 1870, Oran devint un terrain de prédilection pour le développement d’une populace d’extrême droite dure, violement antisémite et raciste et cela en avance sur l’Allemagne nazie. Plus tard, Oran regroupa de nombreux admirateurs des dictateurs Franco, Mussolini et Pétain. « La peste d’Oran était brune. »

Cet aspect de la Ville et plus généralement de l’Algérie, est parfaitement illustré par l’histoire de communauté Juive d’Oran.

En 1958, Oran, la ville la plus Européenne d’Algérie, fut appelée le 13 mai à imiter Alger en se liant à l’Armée pour renverser la quatrième République.

Le 5 Juillet 1962, soit 2 jours après l’indépendance, Oran subit sa quatrième catastrophe majeure après le tremblement de terre, la peste, et le Choléra, lorsque la nouvelle armée arabe d’Algérie y organisa un massacre d’environ 3000 européens portés disparus et dont seulement une centaine de corps furent retrouvée. L’armée française encore présente, n’intervint pas.  

La ville se vida instantanément de sa population européenne encore présente qui partit essentiellement pour la France. Le massacre du 5 juillet 1962 constitua la cinquième plaie de la ville parmi les quatre qui aurait pu inspirer « La Peste » à Albert Camus.

Oran connut donc des catastrophes majeures :

  1. Le tremblement de terre en 1790,
  2. La peste en 1794,
  3. Le Choléra en1849
  4. Le règne de l’extrême droite et des antijuifs à partir de 1871,
  5. Le succès du Régime de Vichy en 1940.
  6. Le massacre du 5 Juillet 1962

 

Situation des juifs dans le reste de l’Algérie de 1800 à 1830

A Alger, la communauté juive fut souvent victime de la colère des Janissaires. En 1805, l’associé de M. Bacri fut assassiné par un Janissaire qui donna ainsi le signal d’une mise à sac du quartier Juif. Le Consul de France, Dubois-Thainville hébergea 200 Juifs pour les sauver.  En 1806 à Alger, les Janissaires se livrèrent à un nouveau pillage et massacrèrent 300 Juifs. En 1818, dix sept jeunes femmes juives de Constantine furent enlevées pour être offertes au Dey.

Selon William Shaller, Consul des USA à Alger en 1830, les juifs étaient particulièrement maltraités à Alger. Ils ne pouvaient sortir de la ville sans autorisation que le Mercredi et le samedi et devaient faire des tâches avilissantes que les musulmans ne trouvaient pas dignes. Le système de hiérarchie entre Juifs et musulmans ne les autorisait pas à résister à la violence que ces derniers pouvaient leur faire subir.

A- Exclusion des Juifs du Presidios Espagnol

La population juive d'Ouahran, s’accrut avec l’arrivée des Juifs de Majorque en 1287, puis progressivement avec celle de Juifs d’Espagne fuyant la Reconquista et l’inquisition.

Les Espagnols tolérèrent longtemps la présence de Juifs dans le Presidios Espagnol d’Oran, alors qu’il leur était interdit de séjourner en Espagne.

Cette tolérance dura 160 ans, mais en 1669, le marquis de Los Veles, Capitaine Général d’Oran expulsa brutalement tous les Juifs d’Oran, dans un soubresaut de Reconquista, qui fut glorifié et avec le soutien de Madrid.

Les Juifs ne devraient être fiers que du rôle important qu’ils jouèrent dans l’Espagne musulmane et en Andalousie, car de l’Espagne catholique, ils connurent surtout le mépris et la violence et cela avant l’inquisition (ainsi par exemple, Tolède et Valence connurent des pogroms en 1391).

Lorsque les Espagnols quittèrent Oran de 1708 à 1732, les Juifs purent y revenir sous la protection des turcs.

Mais les Espagnols expulsèrent les Juifs d’Oran en même temps que leurs protecteurs turcs lorsqu’ils reprirent la ville en 1732.

En 39 ans les Espagnols avaient chassé deux fois les Juifs de la ville d’Oran.

De nouveau lorsque les Espagnols abandonnèrent Oran, aux turcs en 1792, les Juifs revinrent « sur la demande des turcs » qui leur accordèrent pour cela divers avantages. Il fallait aussi repeupler la ville détruite par le tremblement de terre.

Les Juifs d’Oran eurent une histoire très différente de ceux du reste de l’Algérie et passèrent de la haine espagnole à la protection turque. Ainsi les Juifs d’Oran semblent avoir eu avec les turcs des relations très différentes de celles des Juifs d’Alger et de Constantine ; toutefois les Juifs d’Oran « en tant que tels », c'est-à-dire en tant qu’habitants d’Oran lorsqu’on leur en laissait la possibilité, ne rencontrèrent les turcs que dans de brèves parenthèses de l’Histoire.

B- Antisémitisme dans la ville française

1-Antisémisisme local jusqu’en 1939

L’arrivée des troupes française en Algérie en 1830, fut une réelle émancipation pour les Juifs.

L’acte de capitulation du Dey d’Alger, le 5 Juillet 1830, indiquait que le Général en Chef s’engageait à ce que « la liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce, leur industrie ne reçoivent aucune atteinte ; et que leurs femmes soient respectées ».

Ce texte abolissait la hiérarchie qui plaçait les Juifs sous les musulmans.

En 1859, la population Juive d’Oran fut accrue par l’arrivée des Juifs marocains de Tétouan. Les Juifs de Tétouan jouèrent un rôle important à Oran et certains gardèrent des liens avec leur ville d’origine. Tétouan est une ville Marocaine fondée au XIVe siècle, détruite par les Espagnols au XVe siècle et reconstruite par des musulmans andalous. Ce n’est qu’en 1915 que cette ville eut des relations avec l’Espagne en devenant la capitale du Maroc espagnol qui venait d’être créé trois années plus tôt, en 1912.

A Oran, peu de familles juives demandèrent à obtenir la nationalité française en vertu du Senatus Consulte de 1865.  Adolphe Crémieux (1796-1880), Président du Consistoire Israélite de Paris en 1843, puis ministre de la Justice en 1870, après à la chute de l’Empire,  était affecté par la situation misérable des Juifs d’Algérie et pensait que leur intégration à la communauté française permettrait d’améliorer leur sort. Il fit adopter un décret le 24 octobre 1870, qui imposa automatiquement la nationalité française aux Juifs d’Algérie et par conséquent  la prédominance des lois de la République sur celles des Rabbins.

Du point de vue français, c’était aussi un moyen d’augmenter le nombre d’européens en Algérie avec des individus facilement assimilables à des français.

34 574 juifs des territoires d’Algérie conquis en 1870, devinrent français par le décret Crémieux. Les Juifs des Oasis (Mozabites) conquis après cette date, ne devinrent français qu’après leur évacuation en urgence par l’armée française en 1962.

A partir de 1870, lorsque les Juifs devenus français eurent le droit de s’exprimer et notamment par le Urnes, un antisémitisme virulent apparut chez les européens locaux et aussi chez les musulmans traditionalistes.

Les musulmans traditionalistes trouvèrent soudain que les Juifs étaient privilégiés, alors que pratiquement aucun d’eux n’avaient demandé à bénéficier de ce même privilège au titre du Senatus Consulte, qui les aurait obligés à abandonner la prédominance du droit coranique que les autorités françaises maintenaient pour les musulmans. Cette réaction trouve  sans doute une explication dans le fait que les Juifs vivaient  en Islam sous le statut de la Dhimma, c'est-à-dire de personnes hiérarchiquement inférieurs aux musulmans.

Ce décret déplut violemment aux européens locaux qui se révoltèrent contre le fait que les Juifs puissent sortir de l’ombre. L’Algérie et surtout Oran, exprimèrent dès lors une haine antisémite qui n’avait rien à envier à celle de l’Allemagne des années 1930.

Ce phénomène fut particulièrement fort à Oran, qui avait la plus forte communauté Juive, ce qui lui permettait de représenter une part non négligeable, mais certainement pas décisive de l’électorat - environ 15% de la population d’Oran. . Mais pour la populace européenne d’Oran, le fait de ne pas être négligeable était inacceptable.

Cette réaction est d’autant plus inacceptable que les Juifs n’étaient pas si nombreux et avaient un niveau économique relativement faible.

  • Sur 220 000 Oranais français, les Juives ne devaient pas dépasser 35 000 personnes (1960).
  • Environ 20% des Juifs d’Oran vivaient sous le seuil de pauvreté – Statut d’indigent- (1930); les ouvriers et assimilés et les indigents représentaient prés de la moitié de la population Juive.

Si les Juifs d’Algérie avaient été moins pauvres et s’ils avaient pu être des colons,  ils ne se seraient pas concentrés dans les villes où ils auraient ainsi constitué une moindre partie de l’électorat.

Population Juive en Algérie - Tableau 1

1851

21 000

1872

34 574

 1881

35 663

1886

42 595

1891

47 459

1901

57 132

1906

64 645

1911

70 721

1921

73 967

1931

110 127

1941

130 000

1951

140 000

1961 Est.

160 000

Population Juive par ville et

par département en 1941 - Tableau 2

Oranie

Dont Oran

50 782

29 152

Algérois

Dont Alger

33 916

30 990

Constantinois

Dont Constantine

25 292

14 254

Des ligues antijuives furent créées dés 1892 à Oran.  L’affaire Dreyfus qui commença en 1894, amplifia les émeutes antijuives et en 1897, la populace européenne locale demanda la révocation du décret Crémieux après avoir piller des magasins appartenant à des Juifs.

Au cours de cette même année un candidat « antijuif » remporta les élections municipales d’Oran.

  • Ainsi M. Gobert devint le premier des maires antijuifs de cette ville pestilentielle.

L’Algérie fut un terrain de prédilection pour l’épanouissement de l’idéologue français de l’antisémitisme : « Edouard Drumont ».

  • Edouard Drumont devint « député d’Alger » en Mai 1898, à l’occasion d’émeutes antisémites.

Edouard Drumont publia en 1886, « La France juive », manifeste de l'antisémitisme, et la même année, « La France juive devant l'opinion » puis « Le Testament d'un antisémite » en 1891.Il s'opposa vivement à la révision du procès de Dreyfus (1897-1898); il réclama des poursuites contre Emile Zola; en 1899, il réclama l'abrogation du décret Crémieux.

Après la première guerre mondiale, un autre meneur antijuif oranais, le Dr Molle créa les Unions de Latins (le tiers des Européens d’Oran étant d’origine espagnole) contre les Juifs appelées « Unions Latines » qui proliférèrent en Oranie.

  • En 1925, l’antijuif « Molle » gagna « très largement les Elections municipales » d’Oran. Il devint maire d’Oran qui confirma ainsi son statut de« ville raciste et antisémite », puis fut élu député d’Oran après avoir créer un parti d’extrême droite, le Parti National Populaire.
  • En 1932 Oran élit à nouveau député antijuif, le fasciste Pares.

Les slogans à Oran sont similaires à ceux de l’Allemagne Nazie à la même période : « Ton ennemi c’est le Juif, il te vole, il t’exploite».

  • En 1935, l’antijuif « Lambert » fut élu nouveau maire d’Oran dans la tradition de cette ville.

Ce maire, l’ex abbé Lambert attaquait à la fois les Juifs et le front populaire rallia à lui le mouvement des Croix de feu et soutenait Franco. Ce climat continua jusqu’à la guerre dans cette ville mal peuplée, au cours de laquelle il atteint son paroxysme avec le soutien de l’Etat français.

  1. - L’antisémitisme d’Etat à partir de 1940.

Après la défaite des troupes françaises contre l’Allemagne, et après être devenu devint le Chef d’un Etat allié à l’Allemagne, le Maréchal Pétain promulgua le 3 octobre 1940, des lois raciales contre les Juifs en France et en Algérie.

Le décret Crémieux fut annulé et les Juifs furent déchus de la nationalité française.

 Le nombre d’élèves et étudiants juifs fut limité dans les Lycées et Universités (3%). Les juifs furent aussi exclus de professions telles qu’avocats ou médecins, ainsi que de l’enseignement public. Les mesures racistes furent appliquées en Algérie, avec plus de rigueur qu’elles ne le furent en France. Sur 2 700 Juifs exclus de la fonction publique française, deux mille, le furent en Algérie.  L’Amiral Brial, chargé d’appliquer les lois racistes en Algérie, déclarait qu’il lui était apparu « indiqué au point de vue de la politique locale de ne pas être trop restrictif dans l’application de cette Loi ».

Les officiers et sous officiers Juifs furent exclus de l’Armée. Afin que personne ne fût oublié, le Ministre de la Guerre publia la note suivante : « En présence de Juifs détachés de leur religion, des indications utiles pourront être trouvées dans l’aspect de certains noms patronymiques, dans le choix des prénoms figurant sur les actes d’Etat Civil et dans le fait que les ascendants aient été inhumés dans un cimetière israélite ».

A Oran un professeur de Philosophie, André Benichou, ouvrit une école privée pour les Juifs et demanda à Albert Camus d’y assurer un enseignement. C’est au cours de cette période à partir de 1941, qu’Albert Camus écrivit « La peste » (Livre publié en 1947), qui est considérée comme l’aboutissement de sa pensée et propose une critique du pouvoir en place, de la presse et de la religion sous la forme d’un roman philosophique. C’est donc plutôt la peste brune d’Oran qui a inspiré Albert camus.

3. Fin de la présence française – Mauvais début de l’indépendance

Le 8 novembre 1942, l’Armée américaine débarqua à Arzew et fit face à une vive résistance des partisans du Maréchal Pétain à Oran ; ce qui ne fut moins le cas à Alger. La ville pétainiste d’Oran ne capitula que le 10 novembre.

Les Juifs d’Algérie durent leur salut au débarquement américain deux ans après les Lois racistes et moins d’un an après l’adoption de la solution finale. Ce laps de temps n’avait pas été suffisant pour permettre aux antijuifs locaux de réaliser des opérations de déportation comme en France.

Les Juifs durent attendre près d’un an pour redevenir Français. Le 20 Octobre 1943 le décret Crémieux fut rétabli par le Général De Gaulle à la demande de René Cassin, alors son conseiller.

René Cassin fut professeur de droit, Président de l’Alliance Israélite Universelle, rédacteur de la déclaration des droits de l’homme adoptée par l’ONU, un des créateurs de l’ENA et Prix Nobel de la Paix (1968).

 Le principe juridique de non rétroactivité rendait incontournable le rétablissement de ce décret.

Il est regrettable que des Juifs aient pu penser pouvoir rester en Algérie, qu’ils pouvaient faire cause commune, même pour un temps limité avec les européens locaux pendant la période de la Guerre d’Algérie.

 En 1962, par l’Armée de la nouvelle nation arabe réalisa les massacres d'Européens du 5 juillet à Oran, attaqua la Synagogue d’Alger et profana le cimetière Juif d’Oran.