LA METAMORPHOSE DECEVANTE D’ISRAEL

LA METAMORPHOSE DECEVANTE D’ISRAEL

Didier Bertin – 30 mai 2023

I-Les défis existentiels

L’Opéra de Tel Aviv a récemment présenté une œuvre inspirée de la vie de Theodor Herzl, un des fondateurs du sionisme alors que le Sionisme et la démocratie paraissent aujourd’hui compromis en Israël. De plus Israël a plongé dans un libéralisme sauvage qui contraste avec l’Etat social et hospitalier qu’il devait être pour l’ensemble des juifs du monde. Israel représente environ 45% de la population juive mondiale et seulement 27.6% de la population liée au judaïsme et éligible à la loi du retour dans le foyer national juif (source : i24news). Depuis l’arrivée du Likoud et en particulier depuis le trop long règne de B. Netanyahou, Israel a restreint son hospitalité aux classes privilégiées en laissant libre cours à la spéculation immobilière qui atteint des plafonds au-dessus des moyens des ménages normaux dans un pays pourtant en conflit ouvert et participe à amplifier le coût de la vie de l’ensemble des produits de consommation déjà très élevés. Ce choix de société créé un clivage entre les juifs modestes cantonnés dans des régions pauvres ou dangereuses et cibles traditionnelles des missiles de Gaza et juifs très privilégiés. Le très grand luxe côtoie des immeubles délabrés faute d’entretien et la fermeture des services publics pendant le Shabbat et les fêtes religieuses pénalisent les familles trop pauvres pour acheter une voiture privée. Tel Aviv qui est pourtant la vitrine d’Israël est une des très rares moyennes et grandes villes dans le monde à ne pas avoir de métro. Ce clivage grandissant entre riches et pauvres ne correspond pas au « foyer national juif » que ses fondateurs et l’ONU en 1947 avait souhaité. La solidarité inhérente au Sionisme a été mise à mal par le Likoud et par son leader B. Netanyahou adepte de la forme la plus sauvage du libéralisme économique dans un Etat beaucoup trop petit pour que les forces économiques en présence s’équilibrent. En Israël une unité nominale de PIB donne seulement 0.93 point en pouvoir d’achat alors qu’en France une telle unité donne 1.14 point en pouvoir d’achat ce qui illustre la politique de prix élevés due à l’absence de concurrence et à la spéculation immobilière. L’unité de PIB en France est donc supérieure de 22.5% en pouvoir d’achat à celle d’Israël (source : the CIA world factbook).

Israël n’a ni constitution, ni de chambre haute, ni de système électoral qui permettent de former un gouvernement compétent et stable en raison d’une multitude de partis représentés proportionnellement sur des listes. Les électeurs ne votent pas pour leur député mais pour un parti qui choisit les députés pour eux. En conséquence chaque député ne se sent pas responsable devant un groupe d’électeurs d’une circonscription qui l’aurait élu. La croissance du nombre de partis religieux et théocratiques et la prédominance du parti populiste Likoud entravent la démocratie en ce qui concerne les affaires civiles. De plus l’expansion territoriale a pris le pas sur la paix.

Les partis doivent se coaliser pour former une majorité et de petits partis religieux seuls ou coalisés qui permettent à de plus grands partis d’obtenir une fragile majorité sont en position de faire du chantage pour obtenir plus de pouvoir (ministères) et plus de subventions qu’ils n’en méritent. Les petits partis religieux peuvent ainsi exiger d’interférer et de limiter la liberté et la vie quotidienne et privée des citoyens.

Le rôle de la Chambre haute est rempli par la Cour Suprême (15 juges) indépendante du parlement qui jugent le caractère raisonnable et l’acceptabilité des lois du parlement en se référant « notamment » à quelques lois fondamentales et surtout à la Déclaration de l’indépendance qui ensemble forment une sorte de pseudo constitution. La déclaration d’indépendance réclamait l’établissement d’une constitution à partir du 1er octobre 1948.

Cette pseudo constitution ne fait pas référence la déclaration des Droits de l’Homme comme l’a fait l’ONU le 10 décembre 1948 et qui est pourtant devenue la pierre angulaire d’une démocratie moderne pour garantir les droits fondamentaux des citoyens. En effet le suffrage universel n’est pas suffisant puisqu’il n’a pas empêché par exemple l’accession du Parti fasciste en Italie et du Parti Nazi en Allemagne.

En 2018, le gouvernement Netanyahou a fait voter une loi fondamentale qui n’a pas repris pas la phrase de la Déclaration d’indépendance relative à l’égalité des citoyens sans distinction de religion et de race.

En 2023, B. Netanyahou a tenté de réduire les pouvoirs de la Cour Suprême, seul organisme de contrôle du parlement. Cela a été probablement motivé par ses propres problèmes judiciaires et du ceux du Vice premier ministre (Dery) évincé du gouvernement par la cour suprême, et en tous cas par la demande d’une partie du Likoud et des partis religieux. L’affaiblissement de la Cour Suprême en matière de contrôle des lois met en danger les droits fondamentaux de tous les citoyens israéliens qui se retrouvent ainsi aux mains du seul parlement composé en majorité de partis populistes de droite et d’extrême droite. Des manifestations hebdomadaires de démocrates, des mouvements de grèves de militaires réservistes et la pression des Etats Unis ont entraîné le gel de cette réforme. Le Président Joe Biden refuse de rencontrer B. Netanyahou tant que le caractère démocratique du pays n’est pas garanti par l’annulation de cette réforme alors que le soutien des Etats Unis est existentiel pour Israël. La réforme a été gelée en attendant l’adoption du budget avant le 31 mai 2023 sous peine de dissolution automatique du gouvernement mais le budget a été voté le 24 mai pour éviter cette dissolution.

La situation reste toutefois extrêmement précaire puisque les partis religieux qui ont permis la survie du gouvernement en obtenant de larges subventions et des ministères, et les extrémistes du Likoud reviennent à la charge pour que le pouvoir de la Cour suprême soit réduit au risque de perdre le soutien des Etats Unis.

Cette situation est sans relation avec les principales composantes du Sionisme mais avec la soudaine prépondérance de la pire d’entre elles : celle de Vladimir Jabotinsky. La dégénérescence de la nation sioniste idéale a été le produit de l’action de B. Netanyahou à la fois disciple de Jabotinsky et partisan d’un capitalisme sauvage au cours de ses cinq précédents gouvernements. B. Netanyahou a sans doute été influencé son expérience personnelle des affaires aux Etats Unis dont le PIB est 54 fois plus élevé et la population 38 fois plus élevée qu’en Israël et comprend des mécanismes d’équilibre économique inhérents à sa taille bien que le gouvernement américain ait aussi eu parfois à intervenir pour éviter l’écroulement de son système bancaire.  Tout se passe comme si le peuple juif dans son entier se faisait dérober son foyer national par des forces de l’intérieur qui ont tourné le dos au Sionisme traditionnel et veulent faire d’Israël une théocratie antidémocratique et expansionniste.

II-La déclaration d’indépendance : Complétée et déformée par quelques lois dites fondamentales comme pseudo constitution

La déclaration d’indépendance inclut pourtant un engagement de faire une constitution à partir du 1er octobre 1948. Seule la vision de Theodor Herzl y est mentionnée. Les Britanniques qui devaient organiser un foyer juif en Palestine ont préféré finalement abandonner ce projet sans doute pour favoriser leurs relations avec les pays arabes. Le fait essentiel qui a permis l’adoption d’un foyer juif en Palestine par l’ONU le 29 novembre 1947 a été l’extermination de six millions de juifs pendant la seconde guerre mondiale soit les deux tiers de la population juive européenne.

Déclaration d’indépendance :

ERETZ-ISRAËL est le lieu où naquit le Peuple juif. C'est là que se modela sa forme spirituelle, religieuse et politique. C'est là qu'il réalisa son indépendance. C'est là qu'il créa ses valeurs tant nationales qu'universelles et qu'il donna au monde le Livre des Livres Eternels. Exilé de Terre Sainte, le peuple juif lui demeura fidèle tout au long de sa Dispersion et il n'a jamais cessé de prier pour son retour pour y restaurer son indépendance nationale. Mus par ce lien historique et traditionnel, les Juifs s'efforcèrent au long des siècles de revenir dans le pays de leurs ancêtres. Au cours de ces dernières décennies ils rentrèrent en masse dans leur pays. Pionniers, réfugiés, combattants, ils ont défriché les déserts, ressuscité la langue hébraïque, construit des villes et des villages, créé une communauté évoluant sans cesse, maîtresse de son économie et de sa culture, recherchant la paix mais sachant se défendre, apportant à tous les habitants du pays les bienfaits du progrès et aspirant à l'indépendance nationale. En l'an 5657 (1897) inspiré par la vision de l'État juif qu'avait eue Theodor Herzl, le premier congrès sioniste proclama le droit du peuple juif à la renaissance nationale sur le sol de sa patrie. Ce droit fut reconnu par la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917 et ratifié par un Mandat de la Société des Nations, donnant ainsi une sanction internationale aux liens historiques entre le Peuple juif et le Pays d'Israël et reconnaissant le droit du Peuple juif d'y réédifier son Foyer national. La catastrophe nationale qui s'est abattue sur le peuple juif, le massacre de six millions de juifs en Europe, a montré l'urgence d'une solution au problème de ce peuple sans patrie par le rétablissement d'un Etat juif qui ouvrirait ses portes à tous les Juifs et referait du peuple juif un membre à part entière de la famille des Nations. Les survivants des massacres nazis en Europe, ainsi que les Juifs d'autres pays, ont cherché, sans relâche, à immigrer en Palestine sans se laisser rebuter par les difficultés ou les dangers et n'ont cessé de proclamer leur droit à une vie de dignité, de liberté et de labeur dans la patrie nationale. Au cours de la Seconde guerre mondiale, la communauté juive de ce pays a pris sa part dans la lutte pour la liberté aux côtés des nations éprises de paix, afin d'abattre le fléau nazi, et elle s'est acquise, par le sang de ses combattants comme par son effort de guerre, le droit de compter parmi les peuples qui fondèrent les Nations Unies. Le 29 novembre 1947, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution demandant la création d'un État juif en Palestine et invité les habitants de la Palestine à prendre les mesures nécessaires pour l'exécution de cette résolution. Cette reconnaissance, par les Nations unies, du droit du Peuple juif à créer son État est irrévocable.  C'est là le droit naturel du Peuple juif d'être, comme toutes les autres nations, maître de son destin sur le sol de son propre État souverain. En conséquence, nous, membres du conseil représentant la communauté juive de Palestine et le mouvement sioniste, nous nous sommes rassemblés ici, en ce jour où prend fin le mandat britannique et en vertu du droit naturel et historique du peuple juif et conformément à la résolution de l'assemblée générale des Nations unies, nous proclamons la création d'un État juif en terre d'Israël qui portera le nom d’État d'Israël. Nous déclarons que, dès l'expiration du Mandat, en cette veille de Shabbat, 6 Iyar - 5708 (14 mai 1948) et jusqu'à l'installation des autorités régulières de l'État, dûment élues, conformément à la Constitution qui sera adoptée par l'Assemblée Constituante convoquée avant le 1er octobre 1948, le Conseil National remplira les fonctions de Conseil Provisoire de l'État et son organisme exécutif, le Directoire national, fera fonction de Gouvernement provisoire de l'État juif qui sera appelé  « Israël ». L'État d'Israël sera ouvert à l'immigration juive et aux Juifs venant de tous les pays de leur Dispersion ; il veillera au développement du pays pour le bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l'idéal des prophètes d’Israël ; il assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de culte, de conscience, de langue, d'éducation et de culture ; il assurera la protection des Lieux Saints de toutes les religions et sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies. L'État d'Israël se montrera prêt à coopérer avec les institutions et les représentants des Nations unies pour l'exécution de la résolution du 29 novembre 1947 et s'efforcera de réaliser l'union économique dans tout le pays d'Israël. Nous demandons aux Nations unies d'aider le Peuple juif à édifier son État et de recevoir l'État d'Israël dans la famille des Nations. Nous demandons - face à l'agression dont nous sommes l'objet depuis quelques mois - aux fils du peuple arabe de l'État d'Israël de préserver la paix et de prendre leur part dans l'édification de l'État sur la base d'une égalité complète des droits et devoirs et d'une juste représentation dans tous les organismes provisoires et permanents de l'État. Nous tendons la main, en signe de paix et de bon voisinage, à tous les pays voisins et à leurs peuples. Nous les invitons à coopérer avec le Peuple juif rétabli dans sa souveraineté nationale. L'État d'Israël est prêt à contribuer à l'effort commun de développement du Moyen-Orient tout entier. Nous demandons au peuple juif dans sa dispersion de se rassembler autour des Juifs d'Israël, de les assister dans la tâche d'immigration et de reconstruction et d'être à leurs côtés dans la grande lutte pour la réalisation du rêve des générations passées : la rédemption d'Israël. Confiants en I ‘Eternel Tout-Puissant, nous signons cette Déclaration en cette séance du Conseil Provisoire de I ‘Etat, sur le sol de la Patrie, dans la ville de Tel-Aviv, cette veille de Shabbat, 5 Iyar 5708, 14 mai 1948.

1- Theodor Herzl : Il est fait référence à Theodor Herzl un représentant emblématique d’un sionisme raisonnable et à aucun autre courant.

2-Un Etat juif qui ouvrirait ses portes à tous les Juifs : C’est-à-dire un Etat ouvert à tous les juifs de façon égale sans l’influence d’un libéralisme sauvage qui créerait une frontière sur la base de l’argent qui relèguerait les populations les plus pauvres dans les régions les plus démunies et les plus dangereuses.

 

3-Nous, membres du conseil représentant la communauté juive de Palestine et le mouvement sioniste : C’est-à-dire l’ensemble du mouvement sioniste et non pas la frange la plus extrémiste, la plus fanatique et la plus intolérante.

4-Jusqu’à l'installation des autorités régulières de l'État, dûment élues, conformément à la Constitution qui sera adoptée par l'Assemblée Constituante convoquée avant le 1er octobre 1948 : Une constitution devait être établie à partir du 1er Octobre 1948, c’était un engagement ferme.

III- La loi Etat-Nation du peuple juif

La loi d’Israël, État-Nation du peuple juif, adoptée le 19 juillet 2018 sur l’initiative de B. Netanyahou ne complète pas la déclaration d’indépendance mais en restreint le sens humanitaire. Loin d’apporter une contribution par la déclaration des Droits de l’Homme que doivent respecter le démocraties modernes elle est au contraire clivante. La Déclaration d’indépendance du 19 mai 1948 précisait qu’Israël traiterait ses habitants sans distinction de religion, de race et de sexe. Le fait que les lois religieuses orthodoxes juives prédominent dans la vie civile met mal à l’aise les juifs laïques et les minorités non-juives qui ne peuvent trouver leur place à égalité avec le reste de la population. L’aspect théocratique et expansionniste que cette loi encourage par la référence aux implantations peuvent porter tort à l’ensemble du peuple juif dont Israel ne représente que 45% et 27.6% du peuple éligible au retour dans le foyer national juif (le foyer national juif protège les juifs et les personnes liées au judaïsme victimes potentielles de la Judéophobie).

Cette loi suit malheureusement le sens de la nouvelle composition sociale de la population illustrée notamment par les dernières élections de novembre 2022.

Dans la Diaspora la conception du Judaïsme se modernise et s’intègre dans le cadre démocratique des pays où vivent généralement les juifs, or Israël n’est pas le foyer national des seuls juifs qui y habitent mais de l’ensemble du peuple juif. Loin de protéger les juifs comme cela fut l’objet du foyer national juif, les nouvelles ambitions d’une partie d’Israël pourraient encourager la Judéophobie hors d’Israël.

IV-Les principales composantes du Sionisme

Les Pogroms dans les territoires contrôlés par la Russie : Pologne, Ukraine, Biélorussie, Lituanie… se sont accrus dramatiquement sous l’impulsion du Tsar Alexandre III et de l’Okhrana à partir de 1881(soit après l’assassinat d’Alexandre II), c’est-à-dire dans la Zone de résidence où Catherine II avait concentré les juifs à partir de 1791 et composée des territoires conquis par la Russie. La zone de résidence comprenait 5 millions de juifs.

Le Sionisme est une aspiration nationaliste et émancipatrice issue « de la sécularisation et de la modernité » d’une partie des Juifs d’Europe de l’Est (Ashkénazes) en réaction à la judéophobie. Le Judaïsme est une religion pour un certains nombre de juifs mais pour beaucoup d’autres que l’on peut appeler Juifs séculaires (Hilonim en hébreu) il est considéré comme une forte identité éloignée des croyances et obsessions religieuses. La Thorah qui fait figure de ciment de la tradition et peut-être aussi considérée comme une narration de l’Histoire des enfants d’Israël hors des considérations religieuses, jusqu’à la Diaspora imposée par Rome. L’Histoire de l’exode continuel en diaspora qui a suivi, les pogroms, la Shoah, et le Sionisme constituent des éléments complémentaires de l’Histoire du peuple juif. La Shoah a aussi été pour certains une raison légitime de rejoindre le judaïsme séculaire et d’abandonner le judaïsme religieux.

Les fondateurs des courants sionistes étaient plutôt séculaires et bien intégrés dans les sociétés occidentales dans lesquelles ils vivaient. Parmi les non-juifs cet aspect est souvent ignoré et ne leur permet pas toujours de comprendre ce que signifie la judéité. Toutefois il existe aussi à présent parmi les non-juifs des athées qui se font valoir des seules valeurs judéo-chrétiennes morales et philosophiques.

Dès 1862, Moses Hess, philosophe juif allemand proche de Marx et d’Engels, avait écrit le livre « Rome et Jérusalem : La dernière question nationale » dans lequel il demandait la création d’un Etat Juif qui préfigurait le « Judenstaat » de Theodor Herzl. Moses Hess fut le premier pionnier du Sionisme moderne, inspiré par la renaissance des nationalités en Europe.

Theodor Herzl fut choisi comme figure représentative du Sionisme politique qu’il décrit dans son ouvrage « Judenstaat » dans lequel il réclame aussi la création d’un Etat Juif et fut rejoint par Max Nordau pourtant très intégré dans la culture allemande mais choqué comme Theodor Herzl par l’Affaire Dreyfus.

Léon Pinsker avait milité pour l’intégration des juifs Russes mais les pogroms de 1881 l’ont mené à l’idée de nation juive qu’il décrivit dans son livre « l’autoémancipation ». Il réalisa ensuite que cette nation ne pouvait exister qu’en Palestine et il présida à Odessa avec Moïse Lilienblum « l’Organisation des Amants de Sion ».  Léon Pinsker eût l’idée d’utiliser le terme de « Judéophobie » au lieu « d’antisémitisme » dont l’origine se réfère à des théories « racistes et pseudoscientifiques » du XIXe siècle.

Par opposition au Sionisme politique Chaïm Weizmann personnifia le Sionisme pragmatique et obtint des résultats concrets tels que la déclaration du Royaume Uni en faveur d’un foyer juif en Palestine en 1917 que l’on désigne sous le nom de « déclaration Balfour » (Balfour l’avait signé en tant que ministre des affaires étrangères), puis le fait que ce projet fasse partie du mandat sur la Palestine confié au Royaume Uni en 1920 à la conférence de San Remo et au traité de Sèvres. Les britanniques n’ont pas achevé ce projet, préférant fonder leur politique étrangère sur le monde arabe mais il fut finalement voté par l’ONU en 1947 en raison de la Shoah.

Chaïm Weizmann fut le premier président de l’Etat d’Israël (poste honorifique) et David Ben Gourion le premier « Premier Ministre » (Chef du gouvernement).

David Ben Gourion a aussi représenté une des composantes importantes du Sionisme, fils d’un professeur d’hébreu membre des amants de Sion, il rejoignit le Poale Sion à Varsovie (Mouvement Sioniste Marxiste) et émigra en Palestine ottomane dés 1905. Dès 1921 il devint secrétaire général de la Histadrout (Syndicat des ouvriers juifs en Palestine) puis en 1935 le dirigeant du Yishouv (Communauté juive de Palestine).

Le Sionisme violent de Vladimir Jabotinsky et ses conséquences :

En 1925 Vladimir Jabotinsky (né en Ukraine) créa le Parti révisionniste de droite nationaliste en Palestine et revendiquait un foyer national juif sur la totalité de la Palestine incluant l’actuel Royaume de Jordanie. Il fut en opposition avec l’Organisation Sioniste mondiale dont il se retira en 1923. En 1929 Jabotinsky considéré comme un élément dangereux, fut expulsé de Palestine par les Britanniques et finit ses jours en 1940 aux Etats Unis. Jabotinsky fit notamment des Etudes en Italie durant la période fasciste qui parut l’impressionner. Il estimait que les arabes qui ne voudraient pas quitter la Palestine devraient en être chassés par une organisation militaire qu’il nomma « la Muraille d’acier ». A cette fin il créa le « Betar » dotée d’une académie navale la « Betar Naval Academy » installée à Civitavecchia en Italie avec l’accord de Mussolini. Il prit le nom d’auteur « d’Altalena » qui signifie la balançoire en italien.

Bien qu’exilé Jabotinsky maintint son influence sur la Parti Révisionniste dont la direction fut reprise par l’un de ses disciples Menahem Begin qui changea le nom du Parti en « Herout » en 1948. Un mois après la déclaration de l’indépendance et alors que les forces armées israéliennes s’étaient unifiées sous le non TSAHAL, l’Irgoun (aussi inspiré par Jabotinsky) tenta de faire débarquer des armes à Tel Aviv en utilisant un navire nommé Altalena en référence à Jabotinsky. Tsahal fut chargé de couler ce navire afin d’éviter une dissidence armée.

Le révisionnisme inspira des mouvements extrémistes comme l’Irgoun et le Lehi qui font l’objet de commémoration depuis l’arrivée au pouvoir du Likoud (principalement composé du Herout) représenté par Menahem Begin en 1979 (rues, musée, billets de Banques à l’effigie de Jabotinsky …). En 1965 Menahem Begin leader du Herout fusionna avec le parti des libéraux (Liberalim) favorable à l’éloignement du socialisme du Mapaï et de la Histadrout, ouvert au libéralisme économique comme aux fonds d’investissement, et au transfert des fonctions sociales de la Histadrout à l’Etat. Le nouveau parti s’appela Gahal.

En 1973 Menahem Begin, associa le Gahal avec d’autres partis marginaux pour former le Likoud. Le Likoud abandonna l’idée totalement irréaliste d’annexer le Royaume de Jordanie. Le Likoud actuel de B. Netanyahou est donc issu du Herout et donc du parti révisionniste de Jabotinsky.

V-Les causes de l’arrivée au pouvoir du Likoud en 1977

En 1977 Menahem Begin obtient 43 sièges sur 120 et devint premier ministre. Cela marqua à la fois un changement historique en ce qui concerne la future nature d’Israël et le début de la modification de l’électorat populaire qui mènera aujourd’hui à l’impossibilité de former le gouvernement stable dont Israël a besoin.

Les faits générateurs de cette situation sont nombreux :

-Le Sionisme issu des valeurs de Jabotinsky domine substantiellement la scène mais ses partisans doivent négocier le pouvoir avec les forces religieuses montantes pour avoir une majorité.

-Le Likoud souhaite conserver le contrôle des territoires de Cisjordanie conquis en 1967 et rebaptisés Judée-Samarie ; cela correspond aux vœux de nombreux électeurs nationalistes.

-Le Likoud avait obtenu l’appui du Parti National religieux, Mafdal, soutenant le projet du « Grand Israël » incluant toute la Cisjordanie et celui d’un Parti ultrareligieux Agoudat Israel. Pour obtenir le soutien de ces partis, le Likoud s’était engagé à financer les écoles religieuses excluant les disciplines laïques que les autres écoles doivent enseigner. L’absence de telles disciplines maintient les élèves religieux dans l’obscurité en leur ôtant toutes possibilités d’intégration à une vie civile normale et portent une atteinte directe à leur liberté de citoyen. Ils n’ont pas toujours conscience de cela et peuvent penser vivre indéfiniment de subventions. Les juifs laïques les considèrent comme des personnes nuisibles.

-La surprise de l’attaque d’Israël par l’Egypte en 1973 accrut la crainte de certains citoyens pour leur sécurité et poussa nombre d’entre eux a choisir un parti bien plus offensif que le parti travailliste.

- Nombre de juifs sépharades et orientaux ont gardé une crainte des pays arabes après qu’ils en furent chassés. De plus leur prise de conscience du très mauvais traitement qu’ils avaient subi de la part des ashkénazes et des leaders du parti travailliste ont poussé nombre d’entre eux à rejoindre un parti populiste hostile aux arabes et aux travaillistes, c’est-à-dire le Likoud.

VI-Instabilité de la Knesset et Elections du 1er novembre 2022

Le 1er novembre 2022, la 25e Knesset a été élue ce qui donne une durée de vie moyenne des Knessets (parlements) de 3 ans et reflète une instabilité de fond car seules 10 des 25 Knessets n’ont pas été dissoutes avant terme. Mais cette instabilité s’est aggravée puisque de 2019 à 2022 cinq élections législatives ont eu lieu faute d’avoir pu pouvoir former un gouvernement stable.  Cette instabilité est systémique puisqu’aucun parti n’a de majorité et des coalitions avec des plus petits partis sont nécessaires. Ces petits partis en profitent pour faire en sorte que leurs idées soient surreprésentées au gouvernement et demandent des financements hors de proportion avec les voix qu’ils apportent. Toutefois en 2022 les trois partis religieux dont un issu d’une coalition ont obtenu autant de siège que le Likoud soit 32 sièges pour les religieux et 32 sièges pour le Likoud. Les religieux font donc jeu égal avec le Likoud pour gouverner le pays qui risque de devenir une théocratie autoritaire.

De telles bases rendent précaires les gouvernements d’autant plus qu’il faut conjuguer cela avec l’intérêt existentiel de maintenir d’excellentes relations avec les Etats Unis qui tiennent à ce qu’Israël demeure une démocratie moderne. Par ailleurs le nombre de juifs américains s’élèverait entre 6 et 8 millions selon les estimations dont 75% voteraient pour le parti Démocrate.

C’est donc dans ce cadre instable que B. Netanyahou avait tenté de faire passer une réforme destinée à réduire le pouvoir de contrôle de la Cour Suprême sur le Parlement. Les protestations du Président de l’Etat, du ministre de la défense, des magistrats, les manifestations hebdomadaires des démocrates et finalement la pression des Etats Unis ont entraîné le gel de cette réforme. Répétons que B. Netanyahou ne peut pas rencontrer Joe Biden tant que ce problème n’est pas résolu.

Elections du 1er novembre 2022 :

Leader

Sièges

Votes 000

% sièges

Likoud

B. Netanyahou

32

1 115

26.6

Shas

A. Dery

11

 393

9.2

Yahadout Hatorah

Y. Goldknopf

7

280

5.8

Hatsionout Hadadit - Otzma Yehudit -Coalition

B. Smotrich

14

516

11.7

Extrême droite et religieux

64

2 304

53.3

Yesh Atid

Y. Lapid

24

848

20.0

Kakhol Lavan - Tikva Hadasha -Coalition Unité nationale

B. Gantz

12

432

10.0

HaAvoda (Coalition)

M. Michaeli

4

176

3.3

Israel Beteynou

A. Lieberman

6

214

5.0

Centre et gauche

46

1 670

38.3

Hadash-Tal

A. Odey

5

179

4.2

Ra ‘Am

M. Abbas

5

194

4.2

Partis israélo-arabes

10

373

8.3

TOTAL

120

4 347

100

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une multitude de partis s’est présentée pour 120 sièges – Des petits partis se sont coalisés pour dépasser le seuil minimum de 3.25% pour obtenir un siège.  Toutefois 30 micro-partis sur lesquels se sont portés des voix n’ont pas atteint ce seuil et n’ont pas obtenu de députés. Ainsi sur 4 795 000 votants environ 4 347 000 votants ont pu être représentés. La totalité des électeurs s’élèvent à 6 789 000 dont 70.63% ont voté.

VII-Gouvernement actuel

Ce gouvernement est le 37e de l’Etat ce qui signifie qu’en moyenne la durée de vie des gouvernements de 1948 à 2023 n’a été que de deux ans. Ce gouvernement a été formé en novembre 2022 et est le plus extrémiste à droite qu’Israel n’ait jamais connu. Alors que ce gouvernement pouvait tomber avant la fin du mois de mai si le budget n’était pas voté, il a décidé de mener une opération d’envergure contre les mouvements terroristes de Gaza ce qui aurait dû être fait par un gouvernement pérenne (après le vote du budget). En réaction 1000 missiles ont été envoyés sur les régions les plus démunies d’Israël et quelques-uns dans la région de Tel Aviv menaçant la période touristique. On pourrait se demander si le gouvernement n’a pas voulu resserrer les liens avec son électorat pour des questions sécuritaires, calmer les manifestations démocratiques et forcer le vote du budget.

Ce gouvernement comprend les partis ou coalitions suivants :

Likoud de B. Netanyahou, 32 sièges/120 dont les racines radicales ont été décrites.

Shas, 11 sièges/120, dirigé par A. Dery, vice premier ministre exclu de cette fonction par la Cour suprême. Le Shas est un parti ultra-orthodoxe d’origine sépharade qui tient son succès de ses actions caritatives envers les populations sépharades les plus démunies.

Yahadout Hatorah (Judaïsme unifié de la Thorah) de Yitzhak Goldknopf, 7 sièges/120. C’est un Parti Ultra-Orthodoxe qui souhaite que seules les règles religieuses régissent la société civile. Selon ce parti le financement gouvernemental des Yeshivot (Ecoles religieuses, concentrées sur l’Etude de la Thorah) assurerait la protection d’Israël !!!

Hatsionout Hadatit (Parti Sioniste Religieux), de B. Smotrich (issu en partie du PNR) coalisé notamment avec Otzma Yehudit, 14 sièges/120. Cette coalition désire remplacer la démocratie par une Théocratie, s’opposent à toutes revendications territoriales palestiniennes ou syriennes sur la Cisjordanie et le Golan, prônent l’enseignement de la Thorah, la suprématie juive et milite pour l’extension des colonies juives en Cisjordanie et leur annexion par Israël.

Ces partis représentent l’extrême droite séculaire et ultrareligieuse et ont obtenu la majorité absolue à la Knesset. Un gouvernement de 32 ministres avec à sa tête Netanyahou a été formé.  Netanyahou a tenté de limoger le général Galant (Likoud), ministre de la défense parce qu’il s’est opposé à la réforme de la justice, mais a dû le réintégrer sous la pression publique.   

VIII-Caractéristiques politiques de la population en Israël

Israel est un pays de 9 millions d’habitants comprenant environ 6.7 millions de juifs (séculaires et religieux) dont 5.2 millions sont nés en Israël ce qui représente un changement substantiel avec les générations précédentes nées en majorité à l’étranger. La principale minorité sont les arabes musulmans et chrétiens qui représentent environ 1.9 millions d’habitants soit 21% de la population et de minorités diverses s’élevant à 440 000 personnes environ.

Les électeurs ont représenté environ 6.8 millions de personnes soit 75.5% de la population mais pour diverses raisons 2 millions d’électeurs se sont abstenus. Sur la base des chiffres globaux la population arabe israélienne qui auraient pu voter aurait dû s’élever à « environ » 1.4 millions de personnes et pourtant les partis arabes n’ont recueilli que 373 000 voix. Bien que certains arabes aient pu voter pour les autres partis on peut supposer qu’une grande partie d’entre eux s’est abstenue et la nouvelle loi sur l’Etat-Nation ne les a sans doute pas encouragés à voter.

Le nombre de votants juifs s’est élevé à environ 4 millions de personnes dont 26.7% pour le Likoud nationaliste et 26.7% pour les ultraorthodoxes partisans à divers degrés d’une théocratie. On peut en déduire qu’une large majorité de  la population  est partagée à égalité entre  nationalistes et ultraorthodoxes.  Les fondateurs du Sionisme et d’Israel pourraient ne plus reconnaître le pays qu’ils souhaitaient créer comme foyer national juif.

La seule force qui se réclame du centre et d’une démocratie séculaire est réduite à 38% de voix et la cohabitation entre les populations séculaire et ultrareligieuse est devenue très problématique. La population israélienne est en fait clivée en quatre parties distinctes : les nationalistes, les religieux, les démocrates (formant l’élite du pays) et les arabes israéliens. La voie semble tracée vers une sorte de théocratie nationaliste et expansionniste qui risque de faire sortir Israël du monde de démocraties modernes.

IX- Deux Etats, deux Nations

Les Etats Unis et les démocraties modernes souhaitent l’existence d’un Etat Palestinien aux côtés d’Israël. Il est important de conserver de bonnes relations avec les Etats Unis et les autres pays de l’OTAN car Israël a besoin des armes de ces pays. Toutefois tant que les mouvements palestiniens auront la conviction que la disparition d’Israël est indispensable ou financeront les terroristes, un Etat palestinien indépendant ne restera qu’un projet en attendant que les palestiniens changent d’avis.  Il faut aussi noter que la Cisjordanie comprend environ 2.5 millions d’arabes et son annexion ferait d’Israël un pays comprenant 4.4 millions d’arabes (37% de la population totale) qui deviendrait alors un Etat binational, bilingue et Judéo musulman. La protection d’Israel en tant que foyer national juif entraine donc le renoncement au principe d’expansion territorial continuel.

X- Quelles sont les solutions pour qu’Israël puisse garder sa vocation de foyer national juif démocratique en accord avec la déclaration d’indépendance.

1-Israel doit se doter d’une constitution fondée sur la déclaration d’indépendance et sur les vœux des nations et des fondateurs qui ont participé à sa création d’en faire un foyer national pour tous les juifs laïques ou religieux du monde entier et considérant tous ses habitant Juifs et non-juifs sur un pied d’égalité.

2-Israël ne doit pas être une théocratie mais une démocratie moderne s’il veut garder des relations avec les autres démocraties modernes et en particulier avec les Etats Unis auxquels il doit un soutien économique et militaire existentiel.

3-En tant que démocratie moderne, Israel doit se doter d’une constitution qui doit inclure « la déclaration des droits de l’Homme » ou y faire référence et l’enseigner dans ses écoles.

4-Israel ne doit financer aucune école qui n’enseigne pas les matières laïques nécessaires à l’intégration de tous ses citoyens dans la société (service militaire, intégration professionnelle, vie civile…) sinon la liberté des élèves et étudiants des écoles religieuses serait compromise alors que l’Etat doit la garantir.

5-Dans l’armée personne ne peut se faire valoir d’un traitement spécial en fonction de sa foi car cela pourrait mettre en cause la sécurité commune des citoyens. Comme dans beaucoup de pays l’armée pourrait être le creuset pour l’intégration sociale de toutes composantes de la population.

6-La religion « pour ceux qui le souhaitent » doit être enseignée dans des écoles dédiées à l’extérieur des écoles d’enseignement général et en complément optionnel de l’enseignement obligatoire.

7-Seule la loi civile doit prédominer et ceux qui désirent suivre les traditions religieuses doivent en faire leur affaire privée. 

8-Les partis religieux n’ont pas leur place à la Knesset mais peuvent promouvoir leurs idées dans des associations.

Si la situation politique devenait inextricable on pourrait demander alors à l’ensemble des Juifs du monde d’élire la Knesset afin de garantir qu’Israël reste le foyer national juif créé initialement pour tout le peuple juif dans sa diversité.